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Réformation et votations

depuis janvier 2016

Description du projet

Les systèmes électoraux européens et les institutions représentatives qu’ils fondent traversent aujourd’hui une crise sans précédent. Sous des formes apparemment variées, qui tiennent aux contextes institutionnels et politiques spécifiques dans lesquelles elles sont formulées, les critiques se multiplient, qui dénoncent les effets discriminatoires et antipluralistes de la règle majoritaire, la constitution d’une classe politique dont l’activité tendrait à assurer sa pérennisation plus qu’à défendre les intérêts des électeurs, ou encore l’impossibilité pour les citoyens, sauf exception de la démocratie directe, de se prononcer sur les projets de loi : des maux, dissemblables et parfois illusoires, mais qui auraient pour conséquence d’accroître le désintérêt ou la distance à l’égard de la classe politique et du même coup la progression de l’abstention ou des votes dits protestataires.

L’objet de ce projet Réformation et votations n’est pas d’intervenir directement dans ces débats qui concernent au premier chef les juristes et les politistes, mais d’apporter à leur définition et à leur discussion une contribution spécifiquement historique, en revenant sur l’un de leurs moments fondateurs : les premières décennies du XVIe siècle, dont on entend justement montrer les enjeux contemporains. C’est alors, en effet, que la manière de penser et de justifier l’articulation entre droits de la conscience et volonté générale, exercice de la liberté individuelle du chrétien, organisation du monde social et rôle des Églises, possibilité offerte à chacun de donner son suffrage sur des sujets qui concernent tout le monde et nécessaire préservation du consensus, reçoit une réponse inédite et discutée, en bonne part sous l’influence de la diffusion du protestantisme. Car celle-ci vient à la fois conférer à la conscience et à ses droits une place jusque là peu explicitée dans les textes juridiques ou politiques, bouleverser du même coup la légitimité accordée à la décision majoritaire qui n’avait cessé de progresser depuis les XIIe-XIIIe siècles, fragiliser les mécanismes traditionnels de la cohésion sociale et politique des communautés et des corps d’Ancien Régime et pourtant donner à l’expression des préférences individuelles un champ d’application à la fois immense et presque totalement nouveau. C’est en partie ce constat qui a fondé une longue tradition interprétative qui voyait dans le protestantisme l’une des origines lointaines de la révolution démocratique et du triomphe du régime représentatif.

Ce projet étudiera donc les formes d’adoption des idées protestantes par le vote d’assemblées des habitants dans les communautés locales, les villages ou les villes. Il prendra pour cadre la Confédération helvétique et les territoires qui lui sont soumis ou liés par des alliances particulières et restera dans la période chronologique qui s’étend de 1520 à 1648, c’est-à-dire avant la reconnaisse de jure de l’indépendance de la Suisse, où les cantons bénéficient d’une marge de manœuvre que ne connaîtront jamais les villes de France ou même les Stände de l’Empire, et qui change la manière dont la question du choix religieux est pensée. En se fondant sur une documentation abondante mais dispersée (archives locales, chroniques et recès des Diètes pour l’essentiel) cette enquête aura notamment pour intention d’éprouver les grands paradigmes interprétatifs appliqués à la fracture confessionnelle moderne et à la diffusion du protestantisme : cujus regio ejus religio et confessionnalisation, Gemeindereformation et républicanisme local, subjectivation moderne du politique… Le projet portera au jour les relations nouvelles qui s’établissent alors entre droits de la conscience et droits politiques, entre système presbytéro-synodal et Gemeinde, entre communauté de salut et collectivité politique et qui paraissent bien constituer l’un des ressorts de la modernisation des sociétés d’Ancien Régime.

Publications

  • Marc Aberle, «Protestantisme et démocratie: une histoire régressive de l'articulation entre religion et politique», Zürcher Beiträge zur Reformationsgeschichte, à paraître.
  • Marc Aberle, «Cantonner la France. La circulation du modèle politique de Suisse au cours des guerres de religion», traverse, 1, 2019, à paraître.
  • Marc Aberle, Olivier Christin, Fabrice Flückiger, Raphaële Rasina, Vincent Alamercery, Francesco Beretta, Bernard Hours, «Voting on Faith: Understanding the Swiss Reformation through Digital Humanities», Workshop DARIAH-CH, Neuchâtel, 2018, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01944049
  • Marc Aberle, Fabrice Flückiger, Olivier Christin, «La Réformation des clercs. Ancienne Confédération helvétique, 1525-1535», Revue d'Histoire du Protestantisme, tome 3/1, 2018, p. 9-30.

Equipe

 

Contact

Raphaële Rasina
Collaboratrice scientifique
Espace Louis Agassiz 1
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raphaele.rasina@unine.ch