Communiqué

Sexe à distance : un demi-milliard d’adeptes

24 août 2020

Les séquences pornographiques diffusées en direct sur la toile mettent en scène entre 300'000 et 500'000 personnes – des femmes dans la grande majorité – pour une clientèle largement masculine d’au moins 500 millions d’adeptes. Et cet intérêt a certainement augmenté durant le confinement en raison du coronavirus. Rien qu’en Suisse, les occurrences du terme «camgirl» tapées dans Google ont doublé à trois reprises entre le 29 mars et le 9 mai. Ces estimations sont tirées d’une thèse de doctorat en économie territoriale actuellement menée à l’Université de Neuchâtel.

La numérisation généralisée de la société a entraîné une profonde modification des interactions entre les individus, y compris les rapports à la sexualité, que cette thèse entend mieux cerner. «Même si elle reste un sujet intime et un peu tabou, la sexualité fait partie de la vie sociale, relève l’assistante-doctorante Salomé Donzallaz, rattachée à l’Institut de sociologie de l’Université de Neuchâtel. Dans cette recherche, il s’agit en particulier de comprendre comment les activités sexuelles à distance occupent les différents espaces concrets et numériques, ainsi que leur construction économique. Quels sont leurs business model ? Comment s’opèrent les rémunérations et les transactions ? Tous ces aspects me semblent essentiels à la compréhension de notre société actuelle dans son ensemble, et des changements futurs qu’ils préparent.»

La production de ces performances se classe en deux catégories. «Nous avons d’abord les plateformes dites Premium, travaillant de manière exclusive avec des studios professionnels et de l’autre les plateformes Freemium, proposant les shows de personnes privées travaillant par exemple depuis leur domicile. On estime qu’il existe aujourd’hui environ 5000 plateformes dédiées aux livecam, formes Freemium et Premium confondues.»

C’est en Roumanie que se trouve la majorité des sites Premium. Cela s’explique par le fait que ce pays dispose d’un réseau internet parmi les meilleurs et les moins chers du monde, et aussi parce que les salaires y sont parmi les plus bas d’Europe. Certaines sources affirment qu’on peut dénombrer jusqu’à 5000 studios pour livecam, constituant dès lors une activité économique non négligeable pour le pays. Mais qui demeure cependant illégale. «Pourtant les studios ont essayé d’être légaux, assure Maria Boroghina, directrice des Studios Best de Bucarest, citée dans le travail de recherche.  Tout le monde sait que l’on est là. On veut payer des impôts ! Mais comme c’est pornographique, l’Etat ne veut rien entendre», déplore cette interlocutrice.

Pour les Freemium en revanche, les localisations sont beaucoup plus éclatées. Elles vont de la Suisse à la Colombie en passant par les États-Unis ou l’Angleterre. Tout dépend de la plateforme d’hébergement et des possibilités disponibles en ligne, comme la langue, le territoire de diffusion, le prix. «On peut très bien avoir des performeuses habitant en Suisse, mais qui évitent la diffusion de leur show dans leur pays de résidence ou d’origine, pour ne pas être reconnues par exemple» illustre l’assistante-doctorante.

Si pour les actrices et les acteurs de la livecam cette activité ne représente en général qu’un salaire d’appoint, certains sites spécialisés revendiquent un revenu moyen allant jusqu’à 35 millions de dollars par mois. Quant aux motivations de la clientèle, elles se traduisent par le désir d’aller au-delà du voyeurisme d’une scène érotique, puisque les deux protagonistes peuvent interagir. «Ainsi, à la différence des vidéos pornographiques disponibles gratuitement sur internet, la prestation peut devenir exclusive, évoluant en temps réel, en fonction de la créativité, des envies et des demandes de part et d’autre des écrans.»

Contact :

Salomé Donzallaz
Chaire d’économie territoriale
Tél. +41 32 718 16 94
salome.donzallaz@unine.ch


Coordonnées de contact complètes dans le communiqué au format pdf

En savoir plus :

Salomé Donzallaz, Olivier Crevoisier, Numérisation, innovation et formes territoriales : les activités sexuelles marchandes entre racolage et livecam

Working Paper, Maison d’analyse des processus sociaux (MAPS), 2020, 25 pp.